Gabriele Venturi
LES STÈLES DE L’ANCIENNE ÉGYPTE ET LE « LE CODE DE SNEFERU » :
PREMIÈRES CONSIDÉRATIONS HISTORIQUE-SYMBOLIQUES ET
NOUVELLES DÉCOUVERTES GÉOMÉTRIQUES
Á Stéphanie Fesneau, danseuse et professeur de tango,
pour avoir montré évident l’impensable
– Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or à future Vigueur ?
A. Rimbaud
Partie 1: UN POSSIBLE SENS ÉSOTÉRIQUE DE LA STÈLE DU SINAÏ EN PARTANT DE LA DÉCOUVERTE DU « CODE DE SNEFERU »
Dans l’article de « Antika » du 3 janvier 2013 (« Hypothèse de lecture de la stèle de Sneferu ») pour la première fois étaient présentées et commentées des images déconcertantes, qui mettaient en évidence comment les cinq pyramides les plus célèbres de la IV Dynastie – les trois de Gizeh et les deux de Dahshur – avaient été codifiées géométriquement dans la stèle qui justement le fondateur Sneferu avait fait sculpter dans une carrière du Sinaï autour de 2600 avant J.-C. ( au moins, si nous acceptons les datations de l’historiographie et de l’archéologie officielles, qui justement par cette découverte ont été mises radicalement en question ). En pratique, dans ces tableaux on pouvait voir comment en alignant la base des pyramides à celle du relief et en les dessinant en une échelle et en une position telles que la pointe aille à coïncider avec l’œil du Pharaon, on développait un système d’intersections entre la dessein de la pyramide ( y compris le prolongement de ses axes caractéristiques ) avec celui de la stèle, système que déjà à ce moment-là ne semblait pas du tout fortuit. Mais cela c’est avéré être le début d’un jeu géométrique inattendu et étonnant au même temps, puisque, en variant l’échelle des pyramides et en plaçant leur base et leur pointe dans des positions même différentes, le système des intersections est recréé systématiquement et inexorablement, donnant lieu à l’hypothèse d’une matrice géométrique commune, dont auraient été déduites soit les mesures caractéristiques de la stèle soit celles des pyramides, qui y apparaissaient codifiées. Ci-dessous, nous pouvons voir quelques exemples de ce qui se passe avec la Grande Pyramide, à travers des images que dans l’autre article nous n’avons pas montrer
Très intéressant paraît aussi le fait que la Pyramide semble avoir les mêmes connexions géométriques aussi avec la structure d’autres monuments , comme l’Osireion , le temple de Louxor , la Pyramide Rouge, le plateau de Gizeh , Saqqarah etc. Logiquement, ce fait signifie que toutes ces structures sont géométriquement congruentes. À la fin, la Pyramide semble avoir le même genre de relation géométrique aussi avec sa même structure. Une chose qui résulte plus compréhensible si on regarde de nos propres yeux plutôt qu’au moyen d’une explication avec des mots
Cependant, parmi les images qui nous avons déjà montré dans le première article, peut-être la plus intéressante est finalement résultée celle où la pointe de la Pyramide de Mykérinos était pointée sur l’œil du Pharaon
Dans ce cas, nous voyons comment cette galerie supérieure qui est généralement interprétée comme une œuvre inachevée parce que, disons, va mourir d’une manière confuse dans la roche, une fois superposée sur le relief de Sneferu trouve immédiatement un sens religieux-symbolique qui paraît assez clair : en fait elle dessine un pénis en position détendue sur le pubis de l’ennemi du Pharaon, un personnage dont l’attitude apparaît comme soumise et implorante la pitié. Or, celui qui s’occupe de problèmes historiques et anthropologiques sait qu’un pénis en position non droite, qui se perd dans la roche, peut très bien être interprété comme un symbole ancestral de castration et donc de mort. En fait il s’agit d’une expérience commune chez les humains que l’éjaculation produit, après le moment de plaisir, un profond sentiment de vide ; expérience qui a donné lieu au dicton universellement célèbre : « animal semper triste post coitum », ce qui semble souligner la connexion spirituelle fondamentale entre le plus grand bonheur qu’un homme peut éprouver dans la vie avec le pressentiment de la mort. En fait, même la psychologie moderne enregistre inexorablement ce phénomène : la puissance virile semble se disperser après le coït avec le sperme dispersé dans l’organe génital féminin qui, si aujourd’hui est considéré comme un simple mécanisme biologique, dans l’antiquité soit historique que préhistorique au contraire était interprété comme un symbole religieux, souvent identifié avec la pierre. Cette idée, bien archaïque, est apparemment encore assez fréquente, étant donné que pour une femme bien-aimée il n’y a un cadeau symboliquement plus profond que celui d’un bijou serti d’une pierre précieuse, de préférence un diamant, qui rassemble les dons des sombres profondeurs de la terre avec les hauteurs promises par la lumière. Un diamant qui brille est une pierre en symbiose avec le soleil, le féminin qui se joint parfaitement avec le masculin : son éclat et sa durée font certainement allusion à cette éternité qui peut être au moins partiellement atteinte avec la génération d’un enfant, le symbole plus universel et plus puissant de la foi en la vie et en l’interminable continuation de la vie.
En fait, il n’y a aucun savant ou tout simplement aucun passionné d’archéologie qui ne sait pas que des centaines d’images des organes sexuels féminins, des nus féminins plus ou moins complètement définis ont été trouvés sculptés ou gravés sur des os ou des pierres ou dans les profondeurs plus inaccessibles des carrières du paléolithique et du néolithique d’environ le 30.000 av. J.-C. Mais si la pierre est interprétée comme une sorte de vagin métaphysique, d’où provient toute vie et à laquelle toute vie revient, alors devient clair que la scène représentée par la stèle de Snéfrou en combinaison avec la pyramide de Mykérinos doit être une scène de vie et de mort métaphysique, pas sûrement une représentation de ce qui est habituellement entendu comme un « fait réel ». Ainsi, contrairement au pénis en repos, représenté par la galerie « inachevée », nous pouvons certainement imaginer que l’autre galerie représente un pénis en vigoureuse érection qui pointe, avec toute vraisemblance, vers ces étoiles du Nord, qui pour les anciens Égyptiens étaient le signe de la vie éternelle. Il suffit d’imaginer de déplacer la pointe de la pyramide un peu vers la gauche pour comprendre comment il peut changer le sens de l’image du personnage vaincu et soumis qui, si représenté avec un grand pénis en érection, sera plus difficile d’être compris comme un être voué à l’anéantissement.
Cette façon de compréhension symbolique du corps et de la sexualité humaine apparaît très souvent au moderne historien, consciemment ou inconsciemment ( ce qui n’a pas vraiment d’importance ) comme un signe étonnant de retard dans un monde qui autrement nous sommes enclins à respecter profondément – presque comme une bestialité digne de gens très primitifs qui mystérieusement se soit conservée dans un cadre de civilisation si avancée qu’elle a pu sculpter des reliefs d’un tel niveau – et par surcroît faisant usage d’un code mathématique qui semble bien raffiné. Mais il est probable que ce type d’évaluation et les attitudes de pensée qu’y sont liées, loin d’avoir à traiter avec quelque chose comme une « réalité objective », dépendent au contraire des préjugés protestants et de la Contre-réforme qui nous ont été inculqués par notre culture, qui même dans la phase qui a été baptisée du nom étrange de « modernité » n’a commencé à accepter le nu comme un spectacle facilement accessible qu’à partir du moment où la sexualité a été radicalement séparée de la conception et donc de la relation avec le sacré. Mais il est chose bien connue que jusqu’à l’avènement des méthodes de contrôle des naissances la société bourgeoise occidentale, comme d’ailleurs la société soi-disant communiste ou socialiste, a considéré la représentation de la nudité et de la sexualité humaine comme un tabou qui pouvait être légitimement dépassé seulement dans des situations exceptionnelles, après que la pruderie de la Contre-réforme – une pruderie pas facilement compréhensible – avait atteint le point de considérer objets obscènes des statues et des peintures qui depuis longtemps étaient tranquillement exhibées dans les églises ou autres lieux sacrés, objets admirés et respectés par des générations de fidèles en tant que symboles absolument dignes d’incarner l’histoire sacrée racontée dans la Bible. C’est celle-là la base des préjugés culturels qui nous font paraître presque comme bestialité ce symbole qui apparaît pointant la pyramide de Mykérinos sur l’œil du Pharaon.
Pour nous libérer complètement de ces préjugés, il est bon de se rappeler que dans les temps anciens et dans d’autres cultures les choses n’allaient pas nécessairement ainsi, mais, au contraire, la pruderie occidentale ne semble pas fréquente, même dans un passé historique qui n’est pas tout à fait lointain. Dans Sparte, cette cité des héros, encore vénérée par savants de toute orientation culturelle comme un exemple inégalé de noble abnégation et de dévouement aux valeurs viriles les plus reconnues – le courage, la loyauté, l’acceptation stoïque de la douleur et de la mort, la calme et la mesure même dans les dangers les plus extrêmes – il était courant pour les hommes et pour les femmes – en particulier les jeunes et non mariées – aller nus « par modestie », comme disaient leurs aînés aux étrangers étonnés et choqués, qui ne pouvaient pas croire que en exhibant le corps formé par l’exercice quotidien les jeunes gens et les jeunes filles ne faisaient que « faire le tour vêtus de leur vertu ». Mais si de l’austérité de Sparte on passe au raffinement d’Athènes on découvre un peu surpris que la même femme mariée qui dans la pratique ne pouvait jamais quitter la maison – et il était considéré comme inconvenant même prononcer son nom dans un lieu public – voyait l’entrée de sa maison dédiée à une divinité symbolisée par un phallus, auspice de fertilité et de fortune ; une divinité à qui on dédiait des fêtes qui, contrairement à ce que nous croyons aujourd’hui, n’étaient pas des carnavals mis en scène par des gens riches avec une passion pour la pornographie unie à celle du burlesque, mai rites absolument graves, qui avaient la dignité de tous les autres. Si nous passons de la Grèce classique à l’Asie, on peut admirer les magnifiques temples de l’Inde, dont les murs et les tours sont tous décorés avec des sculptures, représentant de scènes d’accouplements de toute sorte, ou des espaces sacrés au centre desquels se dresse la figure d’un phallus géant en érection – et il était aussi commun, paraît-il, la représentation sacrée du vagin. Or, il n’y a aucune personne pourvue d’intelligence normale qui puisse imaginer que des œuvres d’un tel éclat soient la réalisation d’un tyran fou et débauché ou d’une civilisation d’esthètes exténués au fin goût pornographique. Au contraire, des symboles de ce genre nous conduisent à penser que dans le passé plus ou moins reculé de l’humanité existaient des cultures même assez développées, dans lesquelles les organes génitaux, l’activité sexuelle et la corporéité dans son ensemble, loin d’être considérés comme une honte presque innommable, sans doute étaient adorés comme des manifestations visibles du divin dans l’humain.
Une fois que nous nous souvenons de cela, nous n’avons aucune raison d’être surpris si même les anciens Égyptiens – dont la culture désormais depuis des siècles est jugée très élaborée et raffinée et que des preuves de moins en moins contestables nous portent à croire très avancée aussi technologiquement – considéraient la corporéité comme un symbole religieux et pas nécessairement comme un symbole de scandale. Hérodote nous raconte qu’à l’occasion d’une fête de Dionysos ( et, donc, vraisemblablement de Osiris ) les femmes égyptiennes promenaient une marionnette représentant la divinité, dont le phallus – d’une longueur légèrement inférieure à la hauteur de la statue – se déplaçait continuellement d’avant en arrière au moyen d’un mécanisme ingénieux. En plus de ce témoignage oculaire, nous avons des images dans lesquelles, par exemple, on voit Isis qui redonne la vie au même Osiris au moyen d’un rapport oral, une scène absolument impensable dans notre culture, sauf que comme offense et blasphème. La sacralisation de la sexualité et du corps humain était arrivée au point que dans un de leurs mythes de la création nous voyons le dieu Atum qui génère le monde en se masturbant, avale le sperme et puis pendant qu’il urine et défèque génère le deuxième et le troisième dieu de l’Ennéade ( qui seraient, il semble, quelque chose comme le mouillé et le sec ).
Ainsi, non seulement il n’est pas du tout surprenant, mais c’est plutôt historiquement raisonnable de découvrir que les galeries de la pyramide de Mykérinos représentent en succession le pénis au repos et ensuite érigé ( ou vice versa ) comme symbole de la mort et de la résurrection d’une divinité représentée dans un relief dont il partage le code. Rien ne pourrait être plus conséquent de supposer que les couloirs de la pyramide ont été faits de cette façon juste pour être superposés sur le relief pour révéler aux initiés un des messages ésotériques qu’ont été chiffrés dans cette stèle (et donc également dans les pyramides qui en partagent le code ). En fait, si l’on imagine de déplacer la pyramide de Mykérinos un peu vers la gauche, alors la divinité perdante n’a plus un pénis détendu, qui se perd dans la pierre, c’est-à-dire dans la mort, mais plutôt une forte érection, signe de vie et de puissance, prête pour cette éternité dont le symbole cosmique pour les anciens Égyptiens étaient les étoiles du Nord, les étoiles qui ne connaissent pas le coucher du soleil. Dans l’ensemble, la Pyramide de Mykérinos, superposée sur la stèle de Sneferu, semble envoyer justement ce message : la mort, qui à l’œil humain apparaît comme se perdre dans la Pierre-Mère, est au contraire la transition vers une vie qui ne finit jamais, « la vie de millions d’années », dont on parle à plusieurs reprises dans le Texte des Pyramides.
Partie 2: LE CODE GÉOMÉTRIQUE DES STÈLES DE L’ANCIENNE ÉGYPTE
Bien sûr, en plus de donner motif à des réflexions d’ordre religieux et symbolique, la découverte de ce qui a été hâtivement baptisé comme « le code de Sneferu », a encouragé la recherche de type purement géométrique, pour vérifier si ce même code ne pouvait pas regarder aussi d’autres stèles de l’ancienne Égypte ; et comme d’ailleurs il était facilement prévisible, on a vu immédiatement que les choses étaient en réalité ainsi. Si l’on observe les tableaux qui suivent, dans lesquels nous prenons en considération la stèle connue comme « Djoser Running », tout de suite nous nous rendons compte qu’elle aussi a été conçue avec le même code, car elle contient non seulement les pyramides de la IV Dynastie ( qui, il faut se rappeler, si nous suivons l’historiographie officielle devait commencer seulement quelques siècles plus tard et justement avec le pharaon Sneferu ), mais aussi les figures et les hiéroglyphes qui apparaissent dans le relief du Sinaï. Même, dans la quatrième figure, se met en évidence comment aussi la constellation d’Orion – dont les Angles Sacrés étaient part intégrale du code de projet de toutes les pyramides et de toutes les statues de la IV Dynastie – est probablement contenue dans le code. ( Sur le thème des Angles Sacrés comme base du projet des pyramides, voir l’article de Gabriele Venturi, paru sur « World Mystery » le 7 nov. 2012, avec le titre « The Descending Corridors of Pyramids and the Narmer Stone : an Archeoastronomical and Theological Perspective »).
Nul doute que ces images suscitent la réflexion et il serait facile d’en montrer d’autres pour augmenter la merveille plus ou moins superficielle que l’on peut avoir en face d’un phénomène inattendu. Mais il est peut-être préférable de renvoyer le lecteur à la galerie pour observer plus d’exemples des jeux géométriques qui on peut tirer des stèles de l’ancienne Égypte, alors qu’ici il paraît convenable de se concentrer sur le problème purement géométrique qui semble être soulevé par des phénomènes pareils – ce qui pourrait être défini comme « intersection signifiante ». En effet, la première pensée qui vient en observant ces images, c’est que les deux reliefs doivent nécessairement avoir été dérivés d’une matrice commune, étant donné que les intersections signifiantes sont répétées non seulement en superposant des images différentes, mais, comme nous allons voir ci-dessous, même dans le cas où l’image est, pour ainsi dire, superposée à elle-même, c’est-à-dire, quand on la déplace pour faire « adapter » certaines de ses parties – qui apparaissent géométriquement significatives – avec d’autres qui paraissent congruentes.
Le phénomène apparaît assez impressionnant, même choquant au premier abord. Mais, au moins celui qui a une expertise dans les questions liées aux mathématiques et à la géométrie ou même à la musique, en général est parfaitement conscient du fait que ce qui apparaît à première vue très complexe peut avoir et en fait presque toujours a des bases plutôt simples, même si, probablement, pas tout à fait simples. Nous savons tous combien monstrueusement complexes soient les opérations mathématiques nécessaires pour les expériences de la mécanique quantique, qui seraient absolument impossibles sans l’aide d’ordinateurs très puissants. Cependant, les expériences plus simples, celles où l’on décrit le mouvement d’une seule particule, on peut les faire compréhensibles géométriquement et donc visuellement aussi pour un public pas très versé en hautes mathématiques par une méthode de représentation qui est accessible à toute personne ayant un minimum d’éducation et d’intuition ( c’est un genre d’exemplifications dans lesquelles réussit très bien Feynman, par exemple ). Mais, hélas, déjà si l’on passe du cas plus simple à un cas impliquant quatre ou huit particules les choses commencent à devenir beaucoup plus difficiles, jusqu’à ce que les phénomènes en question deviennent simplement inimaginables, à tel point que la physique moderne, en fait, ne peut être pensée que par l’abstraction des formules mathématiques. Heisenberg affirmait – peut-être pas tout à fait à tort – que par rapport à son sens profond tout l’appareil iconographique à travers lequel habituellement est décrite la mécanique quantique est à mi-chemin entre la contrefaçon, la vulgarisation et la tricherie. Le cas des reliefs de l’ancienne Égypte, même s’il ne semble pas atteindre le caractère abstrait presque irréel de la mécanique quantique, cependant pourrait être assez semblable ; semblable dans le sens que la complexité des phénomènes observés ou construits – comme de ceux qu’on peut construire – pourrait être le résultat d’une base enfin assez simple, si était vraie l’hypothèse que maintenant nous allons montrer à l’aide d’images ( avant même de l’énoncer au moyen de mots )
Même dans ce cas il faut aviser le lecteur que les exemples de congruences de « type d’or » que nous pourrions fournir parmi les éléments du relief de Sneferu sont plus nombreux de ceux que nous avons en effet montré pour exemplifier notre hypothèse (par exemple, le hiéroglyphique qui est en face du faucon couronné ne semble qu’une partie d’une étoile construite à l’intérieur d’un pentagone, une figure géométrique intrinsèquement dominée par des « rapports d’or » ). Mais il sera bon de laisser encore une fois à la galerie la tâche facile de multiplier les exemples, car pour le moment il semble beaucoup plus utile de montrer comment le même type de relations qui caractérise la stèle de Sneferu semble caractériser aussi d’autres reliefs de l’ancienne Égypte, qui en outre appartiennent à périodes tout à fait différentes : au moment où sera montré que la « section d’or » dans l’appareil hiéroglyphique et figuratif de l’ancienne Égypte dans son ensemble a le même poids que semble avoir dans la stèle de Sneferu, ce qui semble évident à l’instantanéité irréfléchie de l’intuition se montrera vrai aussi pour la lenteur pondérée de l’analyse. En observant les tableaux qui suivent le lecteur pourra donc se convaincre de la plausibilité de notre hypothèse, qui peut être synthétisée dans les propositions suivantes :
LES RELIEFS DE L’ANCIENNE ÉGYPTE DE TOUS LES ÂGES ONT ÉTÉ CONSTRUITS EN UTILISANT LA « SECTION D’OR » DE TELLE SORTE QUE :
1)CHAQUE MOINDRE PARTIE DE CHAQUE FIGURE ET DE CHAQUE HIÉROGLYPHIQUE SE TROUVE DANS UN RAPPORT D’OR AVEC L’ENSEMBLE DU HIÉROGLYPHIQUE OU DE CHAQUE FIGURE DONT ILS SONT PARTIE.
2) CHAQUE HIÉROGLIPHYQUE ET CHAQUE FIGURE AIELLENT À SE PLACER DANS LA TOTALITÉ ESPACIALE DU RELIEF EN RESTANT TOUJOURS ET SYSTEMATIQUEMENT DANS UN RAPPORT D’OR SOIT AVEC LES AUTRES ÉLÉMENTS SOIT AVEC LA TOTALITÉ ESPACIALE MÊME.
3) CELA SIGNIFIE QU’ENTRE LES POINTS DE CET ESPACE N’EXISTE PAS CE GENRE DE RELATION – POUR AINSI DIRE – VIDE, INFORME ET PUREMENT QUANTITATIVE QU’EXISTE DANS L’ESPACE CARTÉSIEN, MAIS PLUTÔT UNE STABLE RELATION D’OR, ÉVIDEMMENT CONSIDÉRÉE COMME SACRÉE.
4) CELA SIGNIFIE QUE DANS CET ESPACE ON VA VERS L’INFINITEMENT GRAND COMME VERS L’INFINITEMENT PETIT EN SUIVANT LE « PAS » D’UNE SPIRALE DE FIBONACCI.
5) DONC DANS UN CONTEXTE COMME CELUI-CI, SEMBLENT IMPENSABLES CES TYPES INFINIS D’INFINI QUI CARACTÉRISENT NOS MATHÉMATIQUES, EN PARTICULIER LE CONTINU-LINÉARE, QUI, AU CONTRAIRE, SEMBLE ÊTRE LE PLUS ÉVIDENT ET FAMILIER POUR LA PERSONNE OCCIDENTALE MOYENNE.
Mais, comme il arrive toujours dans le domaine de la géométrie, aucun argument et aucune proposition explicative ne peut être en mesure de s’expliquer mieux que par le biais de leur représentation graphique
Comme on le voit par l’analyse des images, la section d’or semble caractériser l’espace de reliefs de l’ancienne Égypte d’époques très différentes entre elles, du plus ancien connu sous le nom de « Djoser Running » jusqu’à celui de Ramsès, sculpté dans une ère où l’architecture sacrée avait pris un chemin entièrement différent de celui de la IV Dynastie, en passant de la forme pyramide à celle du temple avec colonnes. Mais ce qui semble rester inchangé c’est le code à partir duquel sont dérivés l’espace d’or, les formes et le relations spatiales. Encore plus impressionnant semble le fait que même un espace architectural aussi vaste que le Plateau de Dahshur – et même le « grossier » cadran de précession connu sous le nom de Cercle de NabtaPlaya – semblent répondre à ces mêmes proportions « magiques » qui caractérisent les pyramides et les reliefs
Que le Cercle de NabtaPlaya semble répondre aux proportions de la section d’or ne nous paraîtra pas si étrange quand dans les images ci-dessous nous aurons observé que ses angles caractéristiques sont également inclus dans le relief de Sneferu du Sinaï, dans ce qui est connu comme « Djoser Running », ainsi que dans le Grand Sphinx, dans le profil de la très célèbre statue de diorite qui représente Khéfren assis sur le trône, ainsi que dans les corridors descendants de deux pyramides, dont l’une est la célèbre Pyramide Rouge ; ces œuvres qui, selon l’historiographie officielle, appartiendraient à une période beaucoup plus avancée que celle où a été construit et fréquenté le Cercle de NabtaPlaya. Pour notre part, nous pensons que la façon ordinaire de considérer le développement de la forme pyramide soit fausse, et qu’il y a des bonnes raisons d’ordre stylistique-morphologique pour penser que le Plateau de Gizeh ainsi que celui de Dahshur doivent être placés dans une époque bien antécédente à 10.500 av. J.-C., tandis que les pyramides à degrés, comme d’ailleurs celles attribuées à la V Dynastie, en devraient être une imitation tardive et au même temps grossière et bâclée, faite à une époque où depuis des nombreux millénaires la technique pour construire des ouvrages de l’envergure de la Grande Pyramide avait été oubliée au point que les pyramides semblent s’être écroulées sur elles-mêmes peu des siècles après leur construction. Pourtant, si la technique architecturale avait été perdue, ce qui restait encore en vie et inchangé de ces temps lointains était le code géométrique pour les pouvoir projeter en un sens formel, c’est-à-dire pour les pouvoir construire géométriquement. Mais nous allons renvoyer l’analyse de cette complexe question historique et morphologique à un prochain travail pour continuer maintenant à concentrer notre attention sur les questions – d’une portée certainement non négligeable – qui l’on peut ouvrir immédiatement à partir des images suivantes
L’ensemble de ces évidences nous amène donc à croire que celle qui, selon les points de vue, peut être considérée comme la découverte ou l’invention de la haute géométrie doit être attribuée à une date antérieure, au moins jusqu’aux temps de NabtaPlaya ou à une période entre 5000 et 7000 av. J.-C. Mais il est de notre avis que ce type de géométrie – comme d’ailleurs l’astronomie connexe – est énormément plus ancienne, ou que cela vient des profondeurs de ce qu’on appelle normalement Paléolithique, les temps où – selon notre hypothèse – on a voulu récréer l’harmonie de l’Âge d’Or perdu, par une entité architectonique et artistique fondée sur le Nombre d’Or, une entité mathématique qui dans notre passé ancestral très probablement a représenté un très puissant symbole ésotérique-religieux, qu’on a cru en mesure de récréer – au moins dans le symbole – ce paradis perdu, diversement imaginé par les différentes cultures, dans lequel l’harmonie régnait spontanément dans la nature et parmi les hommes. Par exemple, le célèbre bison d’Altamira ne semble rien de plus qu’une figure obtenue par l’union de 22 étoiles du ciel du Nord, les ciel que par les anciens Égyptiens sera considéré le siège de la vie éternelle. La «jupette» de Ramses et la structure de les angles du relief de Snefru pourraient être aussi le résultat d’une héritage de l’ancienne diagramme precessional que le “fresque” de Chauvet semble représenter
Cette intime relation entre la culture e la religion de notre lointain passé et l’angle d’inclinaison de la Terre vis-à-vis du plan de l’écliptique semble commune à tout le monde ancien, puisque cet angle caractérise l’orientation d’un grand nombre de structures sacrées dispersées partout dans le monde et dans toutes les époques.
Même ce système de signes qui est aussi dans les grottes d’Altamira, qui a été diversement interprété comme un tas informe de gribouillis, comme un exemple de dessein abstrait ou comme fruit de visions mystiques de shamans en extase, avec le recul ne semble qu’un système de calendriers, où on peut voir les ancêtres de notre accolade ( même si elle est utilisée de haut en bas et non en direction horizontal ), les parenthèses et divers exemples de codes à barres
Une discussion complète de ce problème prendrait trop d’espace et donc, par souci de concision, nous allons parler uniquement de ce dessin que nous avons mis en évidence avec un cercle rouge, qui semble un système mixte solaire-lunaire et qu’on peut voir encore dans l’image ci-dessous
Nous allons compter les barres de la première bande et des deux dernières incluant dans le compte aussi les extrêmes du symbole. En fait, nous supposons que dans ces bandes on a fait un compte lunaire : il semble alors logiquement significatif d’y inclure aussi les extrêmes du système, parce que la lune se lève et se couche dans les points extrêmes qui se trouvent plus au nord et plus au sud des deux solstices, de sorte que le cycle lunaire semble contenir en lui le cycle solaire. Donc, considérant ce système de compte comme une sorte d’image de l’horizon astronomique et considérant la trajectoire lunaire presque comme une « parenthèse vivante » qui comprend en soi les points du lever du soleil, on arrivera à compter 27 barres : et le cycle des levers et des couchers de la lune du nord au sud est précisément de 27,2 jours.
Par contre, la bande inférieure compte 29 barres et le cycle des phases lunaires dure 29,5 jours. Dans la partie centrale de cette complexe structure mathématique il y a, au contraire, 24 barres – beaucoup plus longues que les autres et plutôt inclinées – dont 17 vont de gauche à droite et 7 de droite à gauche. Ces 24 barres semblent représenter les 24 mois de deux années solaires, qui peuvent être mesurées avec 24 mois solaires plus ou moins « normaux » ou avec 24,75 mois lunaires de 29,5 jours chacun.
Et nos lointains ancêtres doivent avoir mis en rapport l’année solaire avec l’année lunaire précisément de cette façon ou d’une manière similaire, étant donné que dans la bande incomplète, qui semble rester en dehors du système, il y a 18 barres, qui deviennent 20 si l’on inclut dans le compte aussi ces deux traits qui unissent la bande au reste du système. Ces 20 barres pourraient représenter précisément ce 0,75% du mois lunaire qui manque au cycle lunaire pour être en un accord plus ou moins « parfait » avec le cycle solaire (en fait, même de cette manière reste une erreur d’environ deux jours, étant donné que 29,5 x 0,75 = 22,125).
Si l’on observe les 24 barres centrales, longues et inclinées, on note que la dernière, c’est-à-dire la septième de la droite, en connexion avec la sixième de la gauche, forme une sorte de « flèche », qui semble « pointer » vers la huitième barre de la bande supérieure, celle où, dans notre hypothèse, on compte la durée du cycle des levers et des couchers de la lune et, fait intéressant, lorsque le cycle des deux années solaires termine, le cycle des levers et des couchers de la lune a passé plus ou moins pour l’80%. Plus précisément, après deux années solaires, il est arrivé à 26 cycles entiers qui sont 27,2 x 26 = 707,2 jours, auxquels manquent encore 22,8 jours pour s’accorder avec le compte des deux années solaires. Dans un cycle de levers et de couchers de la lune 22,8 jours sont égaux à 22,8 : 27,2 = 0,8382, ce qui est plus ou moins égal à ce pourcentage qui semble indiqué par la « flèche » que le système des barres inclinées paraît former au moment où va se terminer.
Ainsi, sur les parois d’Altamira nous ne trouvons pas la peinture de « signes abstraits », mais des systèmes calendriers qu’on a cru des « signes abstraits » en raison de l’absence évidente de familiarité avec l’appareil symbolique des mathématiques d’il y a plusieurs millénaires. La même chose vaut pour la façon inhabituelle pour nous avec laquelle les Anciens Égyptiens utilisaient la haute géométrie pour dessiner leurs stèles, que nous avons mal comprise comme une ébauche d’art figuratif.
Mais il est clair que les problèmes liés à cette hypothèse, qui – nous nous rendons compte – sur la première apparaît archéologiquement sans fondement, ne se prête pas à être développée dans le court espace d’un article, et il est à penser que nous serons obligés de recourir à la forme d’un livre pour être en mesure de démontrer de manière concluante une thèse qu’à première vue peut légitimement sembler une rêverie sans aucun fondement. Mais, de toute façon, le matériel que nous avons déjà exposé dans ces pages semble suggérer comme inévitable une révision radicale de la dernière phase préhistorique de l’humanité, celle qui précède l’invention qui a fait époque du signe écrit : si la section d’or caractérise vraiment une œuvre comme le Cercle de NabtaPlaya, alors vraiment tout ce que nous croyons savoir sur le Néolithique se révélerait une illusion, et désormais nous serons obligés à penser que ces êtres humains – que nous avons si longtemps imaginés comme plus proches de la condition animale que de la condition humaine – ont été, au contraire, si semblables et si différents de nous comme ils étaient, par exemple, Marco Polo et les chinois décrits par lui dans « Le Million ».
ANNEXE 1
L’ANGE
Vingt ans
Les voix instructives exilées… L’ingénuité physique amèrement rassise…
– Adagio – Ah! l’égoïsme infini de l’adolescence, l’optimisme studieux :
que le monde était plein de fleurs cet été ! Les airs et les formes mourant…
– Un chœur, pour calmer l’impuissance et l’absence !
Un chœur de verres, de mélodies nocturnes…
En effet les nerfs vont vite chasser.
A. Rimbaud
Lointain…
Si
lointain…
Lointain
et pourtant
même d’une pièce fermée
pouvoir te regarder dans les yeux
voisin,
absolument intime
et invisible
comme un miroir.
Pouvoir te suivre
le long des rues des taxis
égales
comme un labyrinthe,
dans l’immensités des aéroports
égales
comme un désert,
entre les visages des salles d’atteinte
égaux
come fantômes dans les yeux
ou comme des gouttes de pluie
qui tombent dans l’eau.
Les tableaux des horaires
dans lesquels le temps tous les jours
se défait, irréel,
comme une année entière
dans les notes d’une agenda
ou dans les nombres d’un calendrier.
La première ou la seconde classe,
la bienvenue,
les salutations et,
surtout,
les sourires…
Les sourires :
ça ne rate jamais…
Cette farce se récite partout,
et t’harcèle
et te hante
d’autant plus que les bravos,
ou les ovations :
il n’y a pas un seul rêve
qui ne se réveille pas
dans le tonnerre des acclamations,
des salutations
éclairées par le clignotement
des sourires,
mer en tempête
dont tous les jours on doit faire
l’interminable traversée
qui débarque enfin
dans un matin amère…
Il était dur de l’apprendre
et il est impossible
de l’enseigner à quelqu’un d’autre.
Celui qui ne s’arrête nulle part
est condamné aux sourires
comme le banni au bannissement,
et celui qui ne l’a jamais essayé,
pour toujours restera incrédule :
personne
n’a jamais rien à réprimander
à celui qui vient juste parce que l’on a appelé,
juste parce que l’on a payé.
Pourquoi on devrait montrer le visage
de la dure vérité,
du dur amour quotidien
à celui qui jamais porte le poids du temps,
à celui qui comme un nuage léger
vient avec le vent
qui va on ne sait où ?
* *
Lointain…
Si
lointain…
* *
Si lointain,
et pourtant
savoir ce que tu penses
quand tu penses à rien.
* *
Lointain…
Si
lointain…
Et pourtant
savoir ce que tu cherches
de là de cet horizon fermé,
de ce coucher de soleil, rouge de honte,
parce qu’un jour de plus est passé,
immobile,
comme ce ciel si fond
sans plafond,
de la fenêtre de ton avion,
ton rempart,
qui n’atterre jamais,
qui se dirige nulle part.
* *
Nulle part,
oui….
Nulle part
ou….
….lointain…
Si lointain…
* *
Lointain,
oui,
comme un aveugle :
et pourtant
pouvoir voir s’ouvrir et se défaire
les valises,
vomir vêtements,
puis avalés par la machine,
par les tiroirs,
puis dévorés encore
par ces valises insatiables,
sans cesse :
sans cesse
savourer la douleur assoupie
sous le maquillage de l’actrice
qui trompe tout le monde
sauf toi-même,
si lointaine
même
de toi-même…
Si lointaine,
oui,
que je ne peux plus même prononcer
ton nom, si cher,
et pourtant t’avoir ici,
continuellement,
inutilement perdue,
si te voir,
si lointain, pourtant, comme un aveugle,
tu le sais,
c’est mon sort pérenne,
c’est mon étrange mort,
c’est ma vie
quotidienne.
Ainsi,
inévitablement te pleurer,
inévitablement te regretter
avec des larmes qui tombent
désormais distraites,
sans commotion,
sans pudeur,
et désormais
sans aucun goût
ni dégoût.
* *
Enfin
savoir que nous sommes
comme tous.
Voir que notre mal eternel,
maternel,
c’est un destin béotien,
et s’il n’est pas mort,
tu le sais,
c’est juste parce qu’il est
mortel.
Nous aussi,
aussi les anges,
sont faits de la même cendre,
étrange,
des cigarettes qui nous fumons
et qui dans les coins se mélange
à la poussière cosmique,
à la fatigue comique
du serveur qui l’époussette tous les matins,
si l’hôtel veut conserver son nom
s’il ne veut pas être considéré un fainéant,
si regarder un lit défait
me rappelle ta photo,
je ne sais pas comment.
TROIS POÈMES POUR S.
INTERLUDE
Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de
n’avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c’était. – Et je m’en aperçois seulement !
A. Rimbaud
Varsovie
Varsovie couverte de neige
et d’invisibles fleurs
qui des blancheurs illimitées
de la neige se nourrissent
et resplendissent
émerveillées.
Varsovie du ghetto,
du carnage.
Varsovie mille fois balayée
et mille fois
comme moi
ressuscitée.
Varsovie ta patrie
ton ciel.
Varsovie dans tes yeux
dans mon amour
comme un voile.
Varsovie de ton rire d’argent
et de ces intimes souffrances
dont je ne souffre plus
qui presque sont oubli.
Varsovie des pas qui retentissent
dans le silence de spectres d’une rue latérale,
d’une vie quelconque qui passe
fatiguée de tristesse
et dont après personne
ne saura rien.
Varsovie encore en vie
pourtant
sous en déluge de temps
qui jamais ne se retient.
Varsovie
qui s’éloigne
comme une vallée dans une évanescence
de brume sans destin,
vague labyrinthe
où le cœur
s’égare,
cherchant sens cesse ce qui reste
d’une perdue et splendide
douleur.
Varsovie,
je le sais,
désormais presque seul en nom
qui dans le ténu s’évanouir de la mémoire
s’évanouit et s’attenue
comme ton visage
dans une pénombre d’une tonnelle en été,
fixant un coin obscur,
là où je voudrais
rencontrer tes yeux.
PARIS (AVANT TOI, APRÈS TOI)
I.
APRÈS TOI
Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
A. Rimbaud
Rues larges comme places,
places illimitées comme le désert
et pourtant pleines de gens qui vont et viennent. Paroles
saisies à la volée ici et là
entre le bruit du monde et de “tout le monde”
dans une langue qui résonne obsédante et possédée
par un seul nom : Arthur Rimbaud.
Puis :
musées qui érigent un mystique, fantastique, protéiforme labyrinthe,
cathédrales ivres des symboles qui défient l’abîme,
lointains horizons normands, d’acier, de tours et de cavalcades,
les barricades, les flammes, les chansons, les cris sans fin
de la Révolution, Napoléon, la Seine qui coule
lente et rapide telle que le temps et après …
Et après ?
Et après
un fleuve, une mer, un naufrage, un tourbillon des choses
qui dans la mémoire confuse et illimitée s’échappent
tels que les feux jetés par un train en marche :
les nations, les explorations, les colonies, les empires,
les peuples, le populisme, l’individu, l’individualisme,
la technique, la science, le progrès, la république,
les démocraties, la Première Guerre Mondiale,
l’après-guerre, le communisme, le fascisme,
l’existence, l’existentialisme, la crise de ’29, le nazisme,
une autre Guerre Mondiale, encore,
un autre après-guerre, encore,
la reconstruction, la guerre froide,
le développement, le Mai du ‘68,
les jeunes du Mai,
le flux et le reflux
et après …
Et après …
….et après
pourquoi lutter
pur se souvenir d’autres choses
encore?
Ici
on peut trouver tout
– et partout ! –
de sorte que rien n’est jamais
vraiment
à rechercher.
* *
Loin
la Tour Eiffel s’estompe
comme derrière une fenêtre
où le souffle silencieux étend un voile :
ce sont les larmes à la pensée
que pendant des années et des années
juste tes yeux
ont vu ce ciel.
II.
PARIS AVANT
Le ciel….
Le ciel comme aveugle,
comme en aigle…
Ce ciel
loin,
parti
et ainsi…
….perdu,
comme rendu
au désert obscurci,
endurci,
sans vie
de l’hiver.
Un sourire affaibli,
apeuré
franchit l’air morne.
Rigide,
engourdi
dans la caresse gelée du vent,
le front baissé
sous ce ciel bas,
sous la pluie lente,
trop lente,
trop fine
pour l’appeler pluie
et trop épaisse
pour croire vrai ce prodige nu
– se sentir perdu dans le brouillard –
en qui pourtant
follement
il croit.
Labiles éclats
de sable noir : voici
la dure Seine
où comme goélands à l’horizon
se perdent
les voix et les frémissements
des blancs bateau
débordant de gens
qui lui semblent heureux.
Il marche
lentement,
caressant doucement
les parapets.
Plongé dans le secret
de son interne silence,
immense,
il n’entend pas les bruits :
partout
il y a de gens
et il ne voit personne.
Distrait par des souvenirs
qu’il ne sait pas d’avoir
l’adolescent timide bégaie des phrases incertaines
en cette langue nasale
que l’enfant commença peut-être à apprendre
et que l’adulte finira pour oublier
presque entièrement.
Les marbres impassibles,
Notre-Dame
impossible.
Un visage qu’il sait de ne pas connaître
– et qui pourtant il pense de reconnaître –
s’évanouit derrière le coin,
tandis que comme en proie à la fièvre il parcourt
les vastes labyrinthes du Louvre,
où à la fin chaque couloir bifurque
en ères perdues,
symboles incompréhensibles,
dieux et fois surréels,
gouffres d’événements et temps qui fondent
puis
parmi les labyrinthes du trafic,
dans le gouffre des rues
et des places gigantesques
dont presque il ne peut pas imaginer
l’énorme traversée,
les yeux éclipsés sur la vitrine obscurcie où
son vain reflet scrute celui
encore plus vain,
encore plus inhumain
de la Tour Eiffel
qui grimpe vers ce ciel
désormais tellement
loin
et tellement….
….perdu…
…éthéré,
comme dispersé
dans le désert de pierre,
de verre
de l’hiver.
Une saison à l’enfer terminait,
une autre commençait
interminablement.
Je fumais des Gauloises,
je buvais du cognac,
je pensais de chercher un autre Ailleurs
– désespérément –
mais comme un héros
fatigué et d’un autre âge
j’étais en train de revenir à la maison
et je ne le savais pas.
TES VALISES
Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie. Un pas de toi, c’est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche. Ta tête se détourne: le nouvel amour! Ta tête se retourne: le nouvel amour! « Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps », te chantent ces enfants. « Élève n’importe où la substance de nos fortunes et de nos vœux », on t’en prie.
Arrivée de toujours, tu t’en iras partout.
A. Rimbaud
Ta légèreté, tes valises, tes départs, comme je les envie !
Et je sais d’être fou. Parce que l’envie c’est la folie même.
Peut-être que l’air, l’eau et le pain
sont tout ce qu’il y à envier dans ce monde
et le reste – tout le reste – sont des fables au vent.
Je le sais trop bien tout cela, et je le répète. Et pourtant
je t’envie quand même.
Ta légèreté, tes valises, tes départs, comme je les admire !
Je les vois aller sur la surface inutile du temps
comme un magique poisson volant
qui vaguement rebondit sur les vagues
par toi béni tantôt ici, tantôt là-bas, après
qui sait où….
Je ne peux même croire
ou imaginer
que celles-ci ne soient rien d’autre
que tes chaines,
ton fardeau,
ton tourment,
ton destiné exile de toi-même
comme il est pour moi-même
de rester ici
où je ne suis pas.